BODHIDHARMA

Bodhidharma (au 6ème siècle) originaire du sud de l'Inde, est le fondateur légendaire2 en Chine de l'école Chan, courant contemplatif (dhyāna) du mahāyāna, devenue au Japon l’école Zen connue en Occident. L’école Chan prétendant remonter au Bouddha3, Bodhidharma est considéré comme son 28e patriarche et comme son premier patriarche chinois.

Le Nouveau recueil de biographies des moines éminents4 le fait arriver en Chine durant la dynastie Liu-Song, (420–479), opinion retenue par la majorité des spécialistes, mais L’Anthologie de la salle du patriarche5 situe sa venue sous les Liang (502–557)6. Toutes les sources s’accordent pour situer l’essentiel de son activité dans le royaume des Wei du Nord.

Très connu en Chine, en Corée, au Japon et au Vietnam, il y est souvent représenté sous l’aspect d’un moine barbu un peu hirsute, aux grands yeux surmontés de sourcils broussailleux et à l’air sombre. Il est surnommé "Le grand voyageur" et "Le moine aux yeux clairs".


Biographie(s)

On a très peu d’indications solides sur sa vie. Les sources biographiques les moins succinctes sont aussi les plus tardives, ce qui augure mal de leur fiabilité. La plus ancienne est la brève notice de Tanlin (曇林; 506–574), disciple de Huike – ou selon certains, de Bodhidharma lui-même - dans la préface de Deux Entrées et quatre pratiques7. Il y est dit qu’il est originaire du Sud-Ouest de l’Inde, de famille princière8, qu’il a « traversé monts et mers » pour porter le dharma en Chine, et qu’il avait plusieurs disciples dont Daoyu (道育) et Huike9. Sur ces bases, Zvelebil10 a proposé qu’il pourrait être un prince de la dynastie Pallava, dont la capitale était Kânchîpuram. Cette dynastie étant considérée par certains comme d’origine indo-iranienne11, cela permettrait de réconcilier les informations de Tanlin avec la mention d’un Bodhidharma persan rencontré à Luoyang entre 516 et 526 par Yang Xuanzhi (楊衒之)12 ; une autre hypothèse avancée est que le Persan et le premier patriarche du Chan sont deux personnes différentes. La date de 440 a été avancée pour sa naissance.

Selon le Nouveau recueil des biographies de moines éminents (645)4 de Daoxuan (道宣), il est d’origine brahmane. Il arrive dans le royaume de Nanyue (donc par bateau) sous les Liu-Song (420–479) et traverse le Chang Jiang en direction du royaume des Wei du Nord avant la fin de la dynastie. Selon l’auteur, Bodhidharma serait mort avant 534 au voisinage de la rivière Luo où Huike l’aurait enterré dans une grotte. Certains ont de ce fait émis l’hypothèse qu’il aurait pu mourir lors des exécutions ordonnées à cet emplacement en 528 par l’empereur Xiaozhuang13

Dans l’Anthologie de la salle du patriarche (952)5, la légende de Bodhidharma est déjà bien constituée. Il est présenté comme disciple de Prajñātāra. Il arrive en Chine en 527 durant la dynastie Liang (502–557) et a avec l'empereur Wudi une entrevue restée célèbre14 :


L’empereur Wu des Liang étant incapable de comprendre la signification profonde du dharma, Bodhidharma traverse le fleuve Yangzi en 527 et entre dans le royaume des Wei, il s’arrête au monastère Shaolin du mont Song au Henan où il médite pendant neuf ans devant un mur, d’où est venu son surnom de « Brahmane contemplant un mur ».

Selon l’Anthologie, Bodhidharma, mort avant 536, fut enterré sur le mont Xiong'er (熊耳山) à l’est de Luoyang. Néanmoins, trois ans après, un fonctionnaire des Wei occidentaux (534-556) nommé Songyun (宋雲) l’aurait rencontré dans le Pamir alors qu’il cheminait vers l’Inde avec une seule sandale. Il lui prédit la mort prochaine de son souverain. Peu après le retour de Songyun, la prédiction se réalisa. La tombe de Bodhidharma fut ouverte et on n’y trouva qu’une sandale.

Dans La Transmission de la lampe (1004)15, Daoyuan (道原) prétend que Prajñātāra changea son nom originel de Bodhitāra en Bodhidharma, et qu’il ne mourut pas en Chine mais se mit un jour en route pour l'Inde sans cérémonie, tenant en main une de ses sandales16.

Selon la légende Shaolin et Chan, en 475, il se rendait au monastère Shaolin, pour prêcher le Dharma selon la voie du bouddhisme mahāyāna. Mais les moines lui refusèrent l'accès. Il s'assit et fixa son regard sur le mur d'enceinte du monastère. Il y médite pendant 9 ans, en position Zazen. Il parvint (au moins de façon symbolique) à trouer le mur par son regard. Ce qui força le respect des moines et lui permit d'entrer. Il y développa l'enseignement Shaolin. Vers l'an 520, il quitta le monastère et resta en Chine, pour inaugurer le Zen.

Héritage

Philosophie et méditation

Bodhidharma a transmis son enseignement contemplatif à Hui Ke (487-593) en lui confiant les quatre volumes du Soutra de l’Entrée sur l’Ile (sk. Lankāvatārasūtra, ch. Léngjiā ābāduōluó bǎojīng 楞伽阿跋多羅寶經) qu’il jugeait convenable pour délivrer les Chinois, Hui Ke est devenu le deuxième patriarche de l’école de la méditation en Chine. Ce serait en effet le soutra principal des premiers moines Chan selon l’Histoire des maîtres du Lanka (楞伽師資記 Léngjiā shīzī jì) du moine Jingjue (淨覺; 683–750)17. Ce soutra, qui se rattache à la philosophie yogacara18, insiste sur l’importance de dépasser la dualité et l’inutilité du langage pour la transmission du dharma19.

Cette notion est exprimée dans une stance célèbre attribuée à Bodhidharma, bien qu’elle date, selon H. Dumoulin, de 100820 :

« Le zen va droit au cœur.
Vois ta véritable nature
et deviens Bouddha. »

Dans Deux entrées et quatre pratiques et le Nouveau Recueil de biographies des moines éminents, la technique de méditation de Bodhidharma est appelée « contemplation de mur » (壁觀 bìguān). L’auteur du second ouvrage précise qu’il s’agit de « calmer l’esprit » (安心 ān xīn). Ce terme a été interprété littéralement par la tradition, qui décrit Bodhidharma méditant immobile face à un mur pendant plusieurs années. Néanmoins, certains pensent qu’il s’agit d’une expression imagée et que le biguan pourrait être ce que l’on nommera plus tard le zazen (坐禪: zuòchán).

Les légendes : Shaolin et chan

D'après la légende, le Bodhidharma aurait créé et enseigné le kung-fu Shaolin aux moines du temple Shaolin, pour les aider à se défendre des animaux et des brigands qui rodaient autour du monastère. Les recherches académiques contestent cette thèse dès le XVIIIe siècle, et certains historiens datent la création de cette légende au XVIIe siècle, avec la mention de pratiques physiques à Shaolin (qi gong) dans des passages du Yì Jīn Jīng (estimé postérieur au XVIIème siècle)21.

La tradition rattache également Bodhidharma à la création du bouddhisme chan, au temple Shaolin. Les recherches académiques contestent cette thèse légendaire. Même si bodhidarma avait prêché des doctrines influençant les penseurs Chan, la plupart des historiens considèrent que l'attribution de Bodhidharma comme fondateur Chan n'a pas de caractère historique21.

Une légende lie Bodhidharma à la culture du thé : Après avoir médité 7 ans immobile face à un mur, il se serait endormi. Pour éviter que cela ne se reproduise, il se serait coupé les paupières. En tombant à terre elles auraient donné naissance à deux plants de thé, bien utile pour maintenir éveillé les pratiquants du zazen22.

Une légende veut que, après 9 ans de méditation, les jambes et les bras de Bodhidharma auraient pourri, ce qui serait à l’origine des statuettes sphériques de Bodhidharma et des culbutos Daruma au Japon.[réf. nécessaire]

Autres

En Malaisie, on raconte que Bodhidharma dans son voyage depuis l’Inde aborda à Palembang où il passa un bon moment avant de se diriger vers le nord du pays. Il se serait ensuite rendu au Siam puis dans différentes régions de l’Asie du Sud-Est, propageant la méditation et les arts martiaux, avant de se rendre finalement en Chine.